21 Juil - 2021 | par Luc Turgeon

Or Série – Escrime en fauteuil roulant

Les escrimeurs feront cavalier seul à Tokyo

Or Série

Le Canada écarté de l’épreuve par équipes

Montréal, 21 juillet 2021 (Sportcom) – Prévoyant marquer l’histoire paralympique canadienne au tournoi par équipes de Tokyo, les escrimeurs en fauteuil roulant Matthieu Hébert et Pierre Mainville sont tombés des nues en apprenant qu’ils ne seraient que des épreuves individuelles au Japon. Retour sur une qualification paralympique qui s’est évaporée à la dernière minute dans des circonstances nébuleuses.

Le Canada devait d’abord faire partie du top-12 mondial afin d’être éligible au tournoi paralympique réservé à huit nations. Classés douzièmes jusqu’à la fin du processus de qualification en mai dernier, Matthieu Hébert, Pierre Mainville et Ryan Roussell ont subitement glissé au 13e rang. Deux compétitions datant de 2018 avaient été ajoutées et désavantageaient le Canada qui, du jour au lendemain, n’était plus considéré pour être des pays sélectionnés.

La Fédération canadienne d’escrime a contesté ce classement final et a eu gain de cause, mais tout récemment. C’était alors peine perdue, la sélection étant complétée depuis longtemps.

« Le règlement du processus de qualification n’était pas très clair et comportait deux parties », explique le directeur haute performance d’Escrime Canada, Benjamin Manano. « La première sous-entendait que les premières équipes considérées étaient celles avec trois athlètes qualifiés (à l’individuel). C’est le cas du Canada, donc ça devait nous mener à une qualification. La deuxième mentionne toutefois que la fédération internationale allouait cinq places supplémentaires à des équipes incomplètes, qui comptent moins de trois athlètes qualifiés à l’individuel. »

Cette deuxième partie a été priorisée et la distribution des cinq billets paralympiques a permis à certains pays de se qualifier, soit la France, l’Irak, la Grande-Bretagne et l’Italie. Ainsi, ces pays, mieux classés que le Canada au classement mondial, pouvaient conserver leur rang et surpasser l’unifolié.

« On parle de grands pays d’escrime et il aurait peut-être été plus dommageable pour la fédération internationale qu’ils ne soient pas aux Jeux paralympiques. On n’accuse personne et ce n’est pas de la triche, mais c’est facile de se donner une liberté d’interprétation sur les règlements qui offrent des portes de sortie selon les cas de figure qui se présentent », souligne M. Manano, joint au Japon.

Déjà que la pandémie a chamboulé les différents processus de qualification, « les règlements ont été publiés avec un certain flou artistique », résume Matthieu Hébert, qui se dit bien déçu par la tournure des événements.

« C’est honteux »

Le dénouement en soi est difficile à accepter pour la délégation canadienne, qui espérait participer au tournoi par équipes d’escrime en fauteuil roulant pour la première fois de son histoire. Malgré tout, c’est d’abord un manque de professionnalisme et de respect de la fédération internationale qui a déplu.

« Je m’attends à l’avenir à ce que la fédération internationale soit plus professionnelle, plus juste dans l’application des règlements, mais surtout beaucoup plus clair. […] C’est tout simplement pathétique. » – Benjamin Manano

Sans nouvelles de l’IWAS (International Wheelchair and Amputee Sports Federation) après maintes tentatives, Escrime Canada a dû faire appel au Comité paralympique canadien qui lui, a contacté le Comité paralympique international pour recevoir des explications… des suivis qui se sont échelonnés sur plus d’un mois.

« On comprend leur interprétation, mais ça change tout pour nous et il a fallu faire bouger mers et montagnes pour avoir des réponses, ajoute Benjamin Manano. C’est honteux comme gestion pour une organisation internationale comme l’IWAS et c’est un manque de respect pour nous et pour nos athlètes. »

Pierre Mainville n’est pas passé par quatre chemins pour partager le fond de sa pensée. Qualifié pour ses quatrièmes Jeux malgré des douleurs à un coude et à un poignet, il a entrepris ce cycle paralympique dans l’espoir de participer au tournoi par équipes et d’aider ses coéquipiers à se qualifier. Après le report et tous les ajustements qu’ont nécessité la pandémie et le report des Jeux, ce changement à l’improviste et le manque de cohérence dans le processus de qualification « le font sortir de ses gonds ».

« C’est à la fois frustrant et décevant, surtout de la façon que ç’a été fait. L’IWAS est une organisation de broche à foin, et encore là, je mâche mes mots ! Je trouve ça dégueulasse. C’est une insulte et on a ri de nous. Disons que j’aurais choisi une meilleure fin à ma carrière », lance-t-il, à bout de souffle.

« Ça ne fait pas sérieux ! Au lieu de faire la promotion du sport, ça me laisse un goût amer dans la bouche et ça me donne envie de dire aux plus jeunes d’aller faire n’importe quel autre sport mieux régi à la place. »

Qualifié à l’arme la moins souhaitée

Le Canada enverra tout de même quatre athlètes dans cette discipline à Tokyo, soit la plus importante délégation de son histoire. En plus de Hébert (sabre et fleuret A), Mainville (épée et sabre B) et Roussell (sabre et épée A), Ruth Sylvie Morel représentera le Canada au sabre et au fleuret féminin dans la catégorie A. Elle participera à ses troisièmes Jeux paralympiques après ceux de Sydney (2000) et de Londres (2012).

Pour Matthieu Hébert, la pandémie a compliqué sa stratégie de qualification et il a dû patienter afin de connaître les épreuves auxquelles il allait concourir vu l’annulation de certaines compétitions. Malgré la déception de ne pas combattre à l’épée, son arme de prédilection, il fait tout en son pouvoir pour arriver prêt à ses deuxièmes Jeux.

« C’est drainant psychologiquement. Tu dois saupoudrer ton entraînement sans savoir ce qui va arriver. Là, je peux enfin orienter mes entraînements sur ce qui sera payant et j’ai mis les bouchées doubles au fleuret, où j’ai gagné beaucoup en confiance », raconte celui qui s’était classé dixième à l’épée à Rio.

Le maître d’armes Julien Camus, qui dirige l’équipe masculine au fleuret debout, a donné un coup de main à Hébert dans sa préparation paralympique. L’escrimeur croit avoir développé de bons réflexes et être moins hésitant au combat.

« La courbe d’apprentissage au fleuret était abrupte. Julien était la personne toute désignée pour m’aider et il a été très généreux de prendre du temps avec moi. Le fleuret est l’arme à laquelle je suis le plus faible, mais le chemin accompli depuis quelques mois, c’est colossal », admet Hébert.

Un inconfort toujours présent

Pierre Mainville et Matthieu Hébert ne s’en cachent pas, ils ressentent tous les deux un certain malaise à l’idée de se rendre au Japon pour participer à des Jeux paralympiques en pleine pandémie.

« C’est très particulier. Je ne suis pas complètement à l’aise et je ne dors pas sur mes deux oreilles par rapport à ça. Ça amène un risque, je trouve ça triste d’avoir à compétitionner avec tous ces aspects négatifs », confie Hébert.

Ce dernier voit en les Jeux olympiques un test avant la tenue des épreuves paralympiques, prévues deux semaines plus tard. Il préfère ne pas crier victoire et faire preuve de prudence avant de se rendre dans la capitale japonaise.

« Il ne faut pas jouer à l’autruche. Je n’apprends rien à personne en disant que les Jeux paralympiques ne sont pas ceux qui rapportent le plus d’argent et ce n’est pas impossible qu’il y ait une reconsidération s’il y a une dégradation de la situation sanitaire. Ce serait triste, j’aime mieux ne pas trop y penser, mais ça demeure une possibilité. J’espère juste que tout ça n’aura pas d’impacts négatifs sur la situation au Japon. C’est ce qui m’inquiète le plus. »

Pierre Mainville abonde dans le même sens que son compatriote. Cet inconfort ainsi que l’épisode vécu avec la fédération internationale l’ont complètement démoralisé.

« Il y a des jours où ça ne me tente plus du tout (d’aller aux Jeux). Je dois me rendre dans un pays qui ne veut pas de moi et ça me dépasse. Je n’aurai pas de plaisir à y aller, ça c’est sûr. Je n’ai aucune idée pourquoi il y a des Jeux. C’est très dommage pour la population japonaise d’être obligée d’accepter ça. »

Tous espèrent que la présentation du plus grand événement multisports au monde ne sera pas à l’origine de nouvelles complications. Matthieu Hébert et Pierre Mainville suivront la situation de près afin de savoir s’ils seront bel et bien en action au Japon cet été, un peu contre leur gré.

La cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Tokyo est prévue le 24 août.

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