3 Août - 2023 | par Mathieu Laberge

La beauté des relais

Un relais d’anthologie

Nouvelle

Or Série

Montréal, 3 août 2023 (Sportcom) – Pour cette édition du Or Série Sportcom traitant des relais, la victoire canadienne au 4×100 mètres masculin en athlétisme aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, est un incontournable.  27 ans plus tard, le troisième relayeur de l’équipe Bruny Surin constate que la prestation de Robert Esmie, Glenroy Gilbert, Donovan Bailey et lui, qui ont fait la barbe aux Américains sur leurs terres, est encore bien présente dans l’imaginaire collectif.

Retour sur un relais d’anthologie qui a changé le cours de la vie de Bruny Surin. Les leçons qu’il en a tirées sont aujourd’hui le message qu’il transmet dans ses conférences corporatives et qu’il voudra aussi partager aux athlètes du pays, l’été prochain, alors qu’il sera le chef de mission de l’équipe canadienne aux Jeux olympiques de Paris.

Deux extrêmes en une semaine

« L’impact que cela a eu, on l’a su après. Des années (plus tard), quelqu’un m’a dit : « je me souviens où j’étais quand on a gagné en 1996. » La personne m’a dit « quand ON a gagné ». Ok. On, on, on, ce n’est pas juste nous autres, c’est le Canada ! Je me sens vraiment privilégié d’avoir fait partie de cette équipe-là ! » explique Surin avec le dynamisme qu’on lui connaît.

Cet exemple démontre à quel point les courses de relais ont une couche émotive supplémentaire que l’on retrouve moins dans les épreuves individuelles.

Bruny Surin est monté sur son unique podium olympique le 3 août 1996. Une semaine plus tôt, c’est à l’autre bout du spectre émotif qu’il se trouvait : tristesse et incompréhension. Sa demi-finale au 100 m individuel a tourné à la catastrophe. Celui qui avait été médaillé d’argent derrière son compatriote Donovan Bailey aux Championnats du monde de Göteborg, en Suède, un an plus tôt, a raté sa place en grande finale olympique.

« Tout de suite après la demi-finale, c’était le cauchemar, l’enfer ! Ce n’était pas vivable. Je n’aurais pas souhaité ça à mon pire ennemi. J’étais classé deuxième et (dans ma tête), c’était la médaille d’or. Et là, je ne fais même pas la finale. Qu’est-ce que tu fais ? Je voyais noir, je voyais des étoiles, j’avais mal à la tête. Ma conjointe qui pleure, mon entraîneur qui se gratte la tête et qui ne comprend pas… et moi non plus. »

Encore sous le choc, le sprinteur finit par se poser deux questions : « pourquoi tu es là et qu’est-ce que tu vas faire pour y remédier ? »

Surin a visionné sa course une centaine de fois dans les heures suivantes pour tenter de comprendre ce qui s’était passé.

« Je pleurais en dedans. Quand je souffre, je ne veux pas le transmettre aux autres. C’était tough ! Et en plein milieu de la nuit, je me suis réveillé et j’ai trouvé ma solution à savoir pourquoi j’étais là : je voulais cette médaille-là pour mes amis, ma famille, mes commanditaires et mon pays. Je n’étais pas dans l’équation. »

La réponse à son deuxième questionnement était de changer son état d’esprit et de faire les choses pour lui et pour avoir du plaisir.

« Quelques heures plus tard, j’étais dans la piscine et je disais : « Life is beautiful ! » Les gens ne comprenaient pas. C’était fait, c’était réglé. »

Même si les Canadiens avaient été sacrés champions du monde aux mondiaux un an plus tôt, ce sont les Américains qui faisaient figure de favoris. Le commentaire de l’entraîneur américain qui avait mentionné en entrevue télévisée que l’or était déjà dans la poche a eu effet de galvaniser Surin et ses coéquipiers.

« On ne va pas juste les battre, on va les humilier ! » ont juré les Canadiens.

Se côtoyer lors de camps préparatoires, pas seulement sur la piste ou en salle de musculation, a solidifié la camaraderie entre les sprinters canadiens. Un esprit d’équipe qu’a aussi vécu le relais canadien masculin en patinage de vitesse courte piste victorieux à Vancouver, en 2010, dont Sportcom avait révélé les dessous dans Les 10 ans de l’Opération Cobra : Oser pour gagner.

« C’est comme ça que tu crées cette relation de confiance. C’est magique et ça fait des miracles », croit Surin.

Tension, attention !

Que ce soit en athlétisme, en natation, ou en cyclisme, les spécialistes du sprint sont des athlètes qui ont une confiance en eux au-dessus de la moyenne des gens. Et avec cette confiance vient aussi un ego qui peut parfois être surdimensionné. Surin rappelle que la camaraderie avec ses trois coéquipiers ne s’est pas faite naturellement. Le brotherhood comme il l’appelle, fut un travail de longue haleine.

« Il a fallu le travailler beaucoup, beaucoup. Au 100 mètres, que tu sois mon frère, sur la ligne de départ, c’est la mentalité d’un boxeur. Tu veux lui arracher la tête ! Le sprint, c’est ça. Ça te demande ça. Tu n’as pas le choix. Ça se joue sur les nerfs. Tu finis et après tu dis « t’es mon frère ! » C’est très difficile. »

– Bruny Surin

À l’opposé de Surin, Bailey, lui, était au sommet du monde après avoir été sacré champion olympique au 100 mètres. Toutefois, sa technique d’échange du témoin n’était pas à point à l’entraînement lorsque le Québécois le lui transmettait pour l’ultime relais. Pour que l’échange soit optimal, le receveur doit tendre le bras vers l’arrière sans se retourner pendant son accélération, tandis que le passeur dépose le témoin dans sa main. En finale olympique de 1996, Bailey se retourne partiellement pour voir Surin arriver.

Le Montréalais rappelle que l’entraîneur de l’équipe hésitait à corriger Bailey, de peur de froisser celui qui était nouvellement auréolé du plus prestigieux des titres sportifs. Et cela a failli coûter très cher.

En demi-finale, le quatuor canadien est passé à un cheveu de l’élimination en raison d’un mauvais échange entre Surin et Bailey, comme le rappelle le troisième relayeur canadien. Bailey avait démarré sa course plus tôt que prévu.

« Ç’a failli être la catastrophe ! Je n’étais pas rendu au collant de référence (qui annonçait le départ de la course de Bailey) et je le vois partir. Je me suis dit que je ne le rattraperais jamais. En courant, je criais « stop, stop ! » Il a ralenti et fait des petits pas pour ne pas sortir de la zone (d’échange) et il était limite. En voyant ça, je me suis dit : « On est chez les Américains et ils vont trouver quelque chose pour nous éliminer. » Après la course, personne n’a parlé et les quatre, on regardait le tableau. Quand j’ai vu qu’on passait (en finale), ouf ! Maintenant, il faut s’ajuster. »

Surin rappelle que c’est avec l’intelligence émotionnelle qu’il a su communiquer avec son coéquipier. Le ton était doux, mais les mots étaient limpides.

« L’échange était pire à l’entraînement (NDLR : il mime Bailey en se retournant à 180 degrés). Dans l’entourage, l’entraîneur n’osait pas trop (lui dire). C’est moi qui l’ai pris par les épaules et lui ai parlé avec l’intelligence émotionnelle : « Écoute, tu dois me faire plus confiance. Là, tu te retournes, c’est ça qui arrive et si on continue comme ça, oublie ça. On ne pourra pas gagner comme ça. Tu te retournes et je ne veux pas te voir la face ! » […] Il a fallu le travailler, savoir comment lui parler. Il faut mettre de l’eau dans son vin. »

Finalement, le message est passé. Surin et son coéquipier ont pu tempérer leurs ardeurs tout en s’assurant que les vraies choses soient dites.

« Si je n’avais pas mis mon ego de côté, ç’aurait pété et on se serait battus sur la piste ! » rigole Surin presque 30 ans plus tard. « Tout ça, c’est de la communication : comment tu vas le partir, comment tu vas le réagir. Ça, ç’a changé le cours de nos vies ! »

Bruny Surin sera chef de mission à Paris l’an prochain. Son ancien coéquipier Glenroy Gilbert y sera lui aussi à titre d’entraîneur au sein de l’équipe canadienne d’athlétisme. Les deux champions olympiques continueront donc à passer le témoin, mais cette fois d’une autre façon.

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