24 Jan - 2022 | par Mathieu Laberge

Les entraîneurs

L’humain d’abord, les résultats ensuite

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Gregor Jelonek et Louis Bouchard, illustration : Tom Pougin (@piano_mugshot)

Montréal, 24 janvier 2022 (Sportcom) – Louis Bouchard, entraîneur au Centre national d’entraînement de ski de fond Pierre-Harvey (CNEPH), et son homologue Gregor Jelonek, du Centre national Gaétan-Boucher (CNGB) de patinage de vitesse longue piste, ne sont pas seulement des amis dans la vie. Ces hommes vont à contre-courant du système sportif national.

Le financement du sport canadien repose en partie sur une participation financière ciblée qui provient du programme À nous le podium, dont le mandat est d’offrir « du soutien technique aux organismes nationaux de sport pour que le Canada récolte plus de médailles aux Jeux olympiques et paralympiques. »

Bouchard et Jelonek, eux, ont un objectif commun : développer de meilleurs êtres humains avant d’en faire des médaillés.

Portrait d’une recette qui semble fonctionner. Et pas seulement parce qu’ils ont tous les deux formé des champions du monde comme Alex Harvey ou Laurent Dubreuil.

L’importance des coéquipiers dans l’ombre

« Oui, c’est vrai qu’il y a À nous le podium, que ça prend des performances pour être subventionné, mais si on se met juste à penser à ça, on va être malheureux et on va se mettre beaucoup trop de pression sur les épaules. Et pour être franc, je ne coache pas pour la médaille. Ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis engagé il y a 30 ans », soutient Gregor Jelonek.

Cette approche ne se traduit pas par un manque d’intensité, ni par un côté fleur bleue qui relègue le sport à un volet participatif. Les discussions entre les entraîneurs et les athlètes doivent être franches et l’engagement de ces derniers doit être entier afin qu’ils repoussent leurs limites. Des limites qui sont en quelque sorte la mesure étalon de cette approche personnalisée.

« Ce qu’on veut, c’est optimiser la performance. Tant mieux s’il y a des médailles, mais l’objectif, ce n’est pas d’avoir des médailles en bout de ligne. On travaille avec l’humain, croit Louis Bouchard. L’objectif, c’est d’optimiser la performance humaine de ces jeunes-là et qu’ils en soient fiers. C’est ça qu’on veut. Si tu te prépares de cette façon-là dans chacun de tes groupes, il va finir par avoir un athlète qui va passer et qui va faire des podiums. Et c’est tant mieux ! C’est sûr c’est ça qu’on cherche aussi. »

Les athlètes de haut niveau qui ne fouleront pas les podiums internationaux ont un rôle capital et méconnu pour aider les rares qui seront médaillés, ajoute celui qui a mené Alex Harvey à deux titres de champion du monde. Leur influence et leur impact au quotidien sont des ingrédients primordiaux, même si cela ne se voit pas dans le tableau des résultats.

« Cette personne-là qui gagne des médailles, elle ne peut pas en gagner sans son collègue qui lui, n’en gagnera pas. (Ce collègue) va faire une 30e ou 20e place, mais c’est lui qui le fait rire sur l’heure du dîner, c’est lui qui s’entraîne avec le médaillé et qui le challenge dans certains entraînements où il est peut-être moins bon. Mais lui, il est bon là-dedans. C’est ce qui fait que le médaillé s’améliore encore, alors c’est un tout. Ça ne peut pas aller sans un tout. C’est impossible ! »

L’autre objectif avoué par les deux entraîneurs est aussi de former des athlètes qui redonneront à leur communauté une fois que leur carrière sportive sera derrière eux. « Moi, ce que je veux, c’est que le jeune revienne patiner avec ses enfants un jour parce qu’il a aimé ça et qu’il en garde un bon souvenir. Je veux que mes athlètes coachent un jour aussi. Je veux que l’expérience soit favorable, autant pour eux que pour moi », confirme Jelonek.

Preuve que son souhait est exaucé, François-Olivier Roberge et Muncef Ouardi, deux de ses anciens athlètes, étaient à ses côtés au moment de l’entrevue. Ces deux Olympiens sont aujourd’hui respectivement directeur des communications et du développement à la Fédération québécoise de patinage de vitesse et entraîneur au CNGB.

« J’ai de mes anciens athlètes qui sont membres de mon propre conseil d’administration (rires) », renchérit Louis Bouchard. « Et je leur dis en joke (à mes athlètes actuels) : “ Là, vous êtes ici et vous avez du fun en ski. Mais quand vous allez partir, souvenez-vous : à un moment donné, je vais vous rappeler et vous allez redonner au sport. ” »

Une ouverture d’esprit pour de nouvelles possibilités

Laurent Dubreuil s’entraîne sous la gouverne de Gregor Jelonek depuis l’âge de 16 ans. Le champion du monde en titre du 500 mètres apprécie au plus haut point l’approche humaniste de son entraîneur.

« C’est ça que j’aime de Gregor. Il veut ce qu’il y a de mieux pour moi, l’humain. Moi, je ne veux pas être traité comme un numéro et vu comme un athlète qui n’a pas de valeur en dehors de son sport. Moi, je suis une personne à part entière. Le sport, ça ne me définit pas et Gregor c’est un des coachs qui réalise ça », mentionne l’athlète de 29 ans.

« Si un jour j’arrive à l’entraînement et que je ne suis plus investi et que je ne performe plus, Gregor n’aura pas peur de me dire : “ serais-tu plus heureux si tu passais à autre chose ? ” Il n’aura pas peur de perdre son meilleur athlète. Il va le voir comme : “ mon athlète, il a besoin de moi dans la vie pour le diriger. Il a besoin d’un conseil de vie. »

– Laurent Dubreuil

Jelonek est un homme réservé, contrairement à Dubreuil qui exprime toujours le fond de sa pensée de façon imagée. L’athlète cite l’exemple de son ancien coéquipier Alexandre St-Jean qui, selon lui, ne serait jamais devenu Olympien, n’eût été l’ouverture d’esprit de l’entraîneur.

« (Avoir eu) un autre coach, Alex aurait pris sa retraite quatre ans avant parce qu’il est rentré en dentisterie (à l’Université Laval). Ça prenait un coach ouvert d’esprit pour l’accommoder. Alex faisait six cours par session pendant qu’il faisait des Coupes du monde. Il y a beaucoup de coachs qui auraient dit : “ Ça ne se fera pas, c’est impossible. Tu n’es pas là à l’entraînement à l’heure, tu reprends ça le soir par toi-même, tu t’entraînes entre deux cours, tu te lèves à cinq heures le matin pour étudier avant ton cours à huit heures, tu arrives à l’entraînement et tu es cassé ? Impossible! ” »

« Ça prend quelqu’un d’ouvert d’esprit, suggère Dubreuil. Tu vas chercher le meilleur de tes athlètes quand tes athlètes ont confiance en toi et quand ils veulent travailler avec toi. Ils sont investis quand ils sentent que le coach a confiance en eux et qu’il veut ce qu’il y a de mieux pour eux. Tu ne vas pas chercher le meilleur de tes athlètes dans un contexte militaire, dans un contexte où tu fermes ta gueule et où tu fais ce qu’on te dit de faire. Ce n’est pas comme ça que les athlètes répondent le mieux. Gregor l’a compris ça. »

Dubreuil est l’un des rares parents en Coupe du monde de patinage de vitesse longue piste et Jelonek s’est réjoui lorsqu’il a appris que son poulain deviendrait père, même si son horaire de vie serait chamboulé.

« En fait, s’il y a un coach qui fait des compromis et des ajustements individuels, c’est Gregor. Il veut ce qu’il y a de mieux pour nous comme personne et c’est pour ça que nous sommes devenus amis. Et c’est parce que nous sommes devenus amis que je lui ai demandé d’être le parrain de Rose (sa fille). Je ne pourrais pas imaginer un meilleur mentor. »

Remporter une médaille est une façon concrète de jauger un succès sportif. Pour mesurer le parcours d’une carrière ou l’évolution d’un être humain, ce sont les entraîneurs qui sont les mieux placés pour le faire.

« L’objectif, nous essayons de l’accomplir et même si on ne l’accomplit pas, ce n’est pas grave. C’est le voyage que nous faisons ensemble qui est important. Ce n’est pas grave si on n’arrive pas à la place que nous avions fixée au début. Ce n’est pas juste tourner en rond pour une médaille d’or », conclut Jelonek.

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